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TRIBUNE. Dépistage massif à la slovaque : pourquoi c’est une fausse bonne idée | Le JDD

TRIBUNE. Dépistage massif à la slovaque : pourquoi c’est une fausse bonne idée

Mahmoud Zureik, Professeur de santé publique et d’épidémiologie à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines explique dans le JDD pourquoi le dépistage massif de la population française est une idée de bon sens mais irréalisable.

Une personne se fait tester au Covid-19 dans un lycée.

Une personne se fait tester au Covid-19 dans un lycée.
(Reuters)

Voici la tribune de Mahmoud Zureik : « Un premier article dans le Journal du Dimanche, relayé ensuite par d’autres journaux, révèle que des scientifiques se sont directement adressés au Président de la République pour le convaincre de l’utilité de tester l’ensemble de la population, afin d’en finir une fois pour toute avec le virus SARS-COV-2. Cette stratégie a été appliquée en Slovaquie et dans la ville de Liverpool et il est trop tôt aujourd’hui pour en évaluer les effets. On sait cependant qu’en Slovaquie, tester 4 millions d’habitants a mobilisé « une armée » de 45.000 personnes. Bien que l’incidence ait baissé de moitié entre octobre et fin novembre, on peut souligner que la circulation du virus n’a pas été drastiquement freinée et que cette baisse est de même ordre, voire est inférieure à celle observée à la même période dans les principales métropoles françaises.

Les autorités sanitaires font face à un dilemme. Dans les politiques de dépistage ou de prévention, deux choix de stratégies s’offrent souvent à elles et peuvent s’opposer : la première s’adresse de manière indifférenciée à l’ensemble de la population et une deuxième en cible seulement une partie. La première stratégie apporte souvent un bénéfice modéré au niveau individuel mais un bénéfice important à la société et la deuxième un bénéfice plus important à une fraction de la population.

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La stratégie de tester toute la population s’oppose à celle de tester à grande échelle mais de façon intelligente et ciblée

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Le choix entre ces deux stratégies dépend des objectifs souhaités et de la faisabilité de chacune. Pour prévenir l’hypertension artérielle et ses impacts sur le cœur et le cerveau, nous pouvons avoir un premier choix de proposer, par exemple, à l’ensemble des Français de réduire leur consommation alimentaire du sel. Cette réduction induirait une baisse individuelle modérée de la pression artérielle mais induirait surtout une réduction de la fraction de population sujettes à devenir hypertendue (ceux et celles qui avaient initialement des valeurs élevées avant l’intervention). La deuxième stratégie cible justement ces derniers par une politique de baisse drastique de consommation de sel et éventuellement par des traitements médicamenteux. Dans cet exemple, combiner les deux choix s’avère nécessaires. Ce n’est pas le cas dans tous les domaines.

Dans la pandémie actuelle, la stratégie de tester toute la population s’oppose à celle de tester à grande échelle mais de façon intelligente et ciblée, visant les endroits à haut risque de contamination (Ehpad, écoles, entreprises…). Nous sommes dans l’urgence et les défis logistiques déjà omniprésents, les nécessités des moyens humains colossaux ne permettent pas à la France de se payer le luxe de mener de front ces deux stratégies. La stratégie de tester toute la population n’a d’intérêt que si elle est réalisée en très peu du temps, si elle est menée simultanément dans plusieurs métropoles et si nous avons des solutions d’isolement à proposer aux personnes testées positives, ainsi qu’à leurs contacts.

Or, la réponse à ces trois dernières interrogations est hélas négative! Le Conseil scientifique installé auprès d’Emmanuel Macron a d’ailleurs souligné, dans son avis du 17 novembre 2020, que l’enjeu logistique de cette stratégie est majeur, pour un impact encore incertain sur la circulation du virus. Il préconise éventuellement la mise en place d’une expérimentation locale et, surtout, recommande d’adopter une stratégie ciblée sur différents groupes prioritaires de population (collèges, lycées, soignants…).

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Mener une expérimentation à l’échelle de Lille et de Roubaix n’est intéressant que pour Lille et Roubaix

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Mener une expérimentation à l’échelle de Lille et de Roubaix n’est intéressant que pour Lille et Roubaix, et seulement pour un temps limité! Le virus continuera de circuler et les personnes infectées mais non détectée dans la période d’incubation (environ 2-3 jours après l’infection) ne seront pas détectés. Faudrait-il répéter cette opération? À quel rythme? De plus, Lille et Roubaix ne sont pas des îles.  Ne doit-on pas l’étendre simultanément à des villes limitrophes dans ce territoire marqué par son importante densité urbaine?

Dans un contexte de limitation de moyens et du temps, la meilleure solution reste le dépistage massif ciblé. Pour cela, l’élaboration d’une stratégie claire, partagée et transparente est plus que nécessaire. De plus,  cette stratégie peut être harmonisée avec la compagne de vaccination que la Haute Autorité de Santé a établi lundi ses recommandations préliminaires. C’est déjà un immense défi à relever! »

 

Source: TRIBUNE. Dépistage massif à la slovaque : pourquoi c’est une fausse bonne idée