1. Le contexte : le port du masque obligatoire dès 6 ans soulève des résistances
Depuis le lundi 2 novembre, les enfants de plus de six ans doivent porter le masque. Des collectifs naissent depuis quelques jours un peu partout en France pour dénoncer ce port obligatoire du masque dans les écoles primaires. Dans le Nord, un collectif baptisé « Laissons respirer 59-62 » a organisé une manifestation dimanche 15 novembre à Lille qui a réuni une soixantaine de personnes dénonçant « les difficultés d’apprentissage » liées au masque et « les atteintes à leur santé psychique »… La veille, quelque 400 personnes avaient défilé à Prades (Pyrénées Orientales), dans la ville du Premier ministre Jean Castex, en brandissant des pancartes aux slogans évocateurs : « Cerveaux sous oxygène, sourires envolés, non aux enfants muselés, nous voulons un autre avenir pour l’humanité » . Parmi les arguments des opposants à cette mesure : le masque diminuerait l’apport en oxygène de 20 % et contribuerait à une mauvaise oxygénation des organes, tout en favorisant le développement des virus et bactéries…
Sur Facebook, des groupes « Non au port du masque obligatoire pour les enfants » se créent. Les membres s’échangent des modèles de lettres à adresser aux maires pour leur demander de prendre des arrêtés municipaux contre le port du masque obligatoire, ainsi que des messages type à adresser aux écoles pour les prévenir de l’absence des enfants… Sur Internet, une pétition implorant Jean Castex, Jean-Michel Blanquer et Olivier Véran de revenir sur cette décision avait recueilli ce 18 novembre pas moins de 200.000 signatures.
2. Un collectif de psychologues publie une tribune qui s’émeut de cette mesure
Des psychologues ont aussi critiqué cette mesure. Dans une tribune publiée par Libération et intitulée Port du masque à 6 ans : avons-nous perdu l’âge de la raison ? un collectif de psychologues assure que la mesure « risque de nuire aux besoins d’expression de l’enfant sur le plan affectif, langagier, émotionnel, corporel. » Psychologue hospitalière à l’hôpital Bicêtre, Alexandra Flouris est l’une des signataires du texte. Selon elle, le port du masque dès l’âge de 6 ans nuit aux besoins d’expression des enfants, les entravant dans leur communication.
On reproduit les mesures sanitaires appliquées aux adultes sans réfléchir au sens que ça peut avoir pour un enfant de cet âge. D’autant que la communication peut être verbale et non verbale : il y a la lecture des expressions du visage et donc des émotions ; l’effort que ça représente de parler derrière un masque ; certains enfants inhibés n’osent pas parler plus fort, par exemple, etc.
Selon Alexandra Flouris, « les masques associés aux mesures barrières touchent la communication entre enfants et adultes : les maîtresses vous disent bien combien il est difficile de lire un livre à une classe de CP en étant masquées… »
3. Scientifiques et médecins jugent non dangereux le port du masque, aussi bien sur la santé physique que mentale
Interrogé par franceinfo, le professeur Yves Buisson rassure les parents qui craignent de voir leurs enfants mal respirer. « Comme pour les adultes, tout cela ne repose sur rien d’un point de vue scientifique », indique l’épidémiologiste, qui préside la cellule de veille scientifique sur le Covid-19 à l’Académie nationale de médecine. « L’air expiré est certes plus riche en CO2, mais ces particules passent à travers le masque, tout comme l’oxygène qui parvient très bien aux poumons. Le masque ne change rien à la qualité des échanges gazeux. »
Selon Thierry Baubet, professeur de pédopsychiatrie à l’hôpital Avicenne (AP-HP) et membre du collectif « Du coté de la science », le port du masque dès 6 ans est nécessaire. « De plus en plus d’études internationales soulignent que l’enfant, même s’il tombe rarement malade, peut facilement se contaminer et donc contaminer ensuite son entourage scolaire et familial. Les masques ont deux fonctions : éviter les postillons directs, mais aussi éviter la création de petites particules qu’on appelle les aérosols, lorsqu’on parle, qu’on crie, qu’on chante. Ces aérosols restent longtemps dans l’air de la salle le rendant contaminant. Donc c’est l’ensemble des mesures : masque, distance et aération qui permet de limiter les contaminations. »
En tant que professeur de psychiatrie de l’enfant et adolescent, j’ai un autre avis : cette tribune traduit surtout les préjugés des adultes qui l’écrivent. Il n’existe aucune donnée sur un effet négatif du port du masque chez l’enfant largement pratiqué ailleurs. @Cote_Science https://t.co/CoF406xQ0C
— Thierry Baubet (@TBaubet)
November 1, 2020
Pour le pédopsychiatre, le port du masque, s’il n’est « pas très agréable au début pour un enfant », ne représente « pas du tout un traumatisme comme on le lit parfois.
Cela ne peut pas créer de trouble psychique chez l’enfant. Le masque est porté de longue date par les écoliers dans de nombreux pays, sans qu’on ait trouvé de conséquences psychologiques particulière. Il convient cependant de bien leur expliquer : le masque n’est pas une punition, mais un moyen pour eux de protéger les gens qu’ils aiment : ce ne sont pas des enfants punis, mais de vrais « petits héros » qui vont prendre leur part du travail.
Pour Thierry Baubet, « ce discours de responsabilisation – « Tu peux toi aussi faire quelques chose pour que ça s’arrête » – passe très bien auprès des enfants. C’est même plus facile pour eux que d’être seulement passif et impuissant. »
La seule difficulté concerne les apprentissages phonologiques du début du primaire, mais les enseignants ont trouvé des stratégies pour remédier à ce problème.
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« Dernier point important, conclut le spécialiste, ce n’est absolument pas grave si les enfants ne portent pas toujours bien le masque : s’ils l’enlèvent à certain moments, le tripotent, etc, car le but n’est pas, comme au bloc opératoire, d’avoir zéro microbe, mais de diminuer la dose d’aérosol dans l’air. »
4. Une pluralité de discours qui sème le trouble
« Tous les pédiatres n’ont pas le même discours sur la contamination, c’est justement ce qui est difficile pour les parents ou les enseignants, argue la psychologue Alexandra Flouris. Comment se repérer dans ce flot d’informations contradictoires ? Nous déplorons aussi le clivage trop fréquent entre l’aspect médical, voire hygiéniste et la santé psychique. »
Les parents d’élèves suivent pour une large majorité les avis scientifiques et font porter le masque à leurs enfants.
Nous ne sommes ni médecins ni virologue et nous suivons donc les préconisations des spécialistes
Carla Dugault (Coprésidente de la FCPE, première fédération de parents d’élèves.)
« Mais la vraie question est de savoir comment organiser les choses pour que la distanciation sociale soit respectée dans la classe ce qui permettrait d’avoir des temps de respirations : c’est pour cela que nous souhaitons un plan de recrutement massif d’enseignants et de personnels pour pouvoir dédoubler les classes », conclut Carla Dugault.
Quand les CP expérimentent le port du masque toute la journée à Moulins [en images]
« C’est dur pour les directeurs d’école » – Pour le Snuipp-FSU, principal syndicat enseignant dans le premier degré, la fronde, au parfum complotiste, est connue. « Des directeurs ont fait remonter à leur hiérarchie des difficultés et des manifestations de parents ont eu lieu la semaine dernière devant les écoles », indique Guislaine David, secrétaire générale. La contestation, virale sur les réseaux sociaux, est relayée par l’avocat Carlo Alberto Brusa, l’une des principales figures de la fronde antimasques. La députée du Bas-Rhin, Martine Wonner (ex-LREM) a aussi publié sur Facebook un message relayé plus de 9.000 fois disant qu’on ne pouvait obliger les enfants à porter le masque… une affirmation ensuite démentie ensuite par l’Éducation nationale. « C’est dur à gérer pour les directeurs. Et ça met l’enfant au centre d’un conflit d’adultes », dit Guislaine David, pour qui ce port du masque est « une mesure barrière supplémentaire » à laquelle « les enfants s’adaptent plutôt bien depuis quinze jours. »
Nicolas Faucon
Source: Port du masque obligatoire dès 6 ans : une mesure controversée… mais nécessaire – Paris (75000)