Le match des plans de vaccination (ou l’occasion de rattraper le terrain perdu dans la gestion de la pandémie)
Publié le 17 décembre 2020
La vaccination contre la Covid-19 va commencer le même jour dans tous les pays de l’Union européenne. La même stratégie est-elle réellement adoptée dans les différents pays ? La France se démarque-t-elle de ses voisins ?
La vaccination contre la Covid-19 va commencer le même jour dans tous les pays de l’Union européenne. La même stratégie est-elle réellement adoptée dans les différents pays ? La France se démarque-t-elle de ses voisins ?
La vaccination contre la Covid-19 va commencer le même jour dans tous les pays de l’Union européenne. La même stratégie est-elle réellement adoptée dans les différents pays ? La France se démarque-t-elle de ses voisins ?
Atlantico.fr : Ursula von der Leyen a annoncé ce mercredi que la vaccination contre le Covid-19 débutera « le même jour » dans tous les pays de l’Union européenne. Pour autant, tous les pays adoptent-ils la même stratégie ? Qu’en est-il du Royaume-Uni qui a pris de l’avance sur ses voisins ?
Collectif Du Côté de la Science : Il y a peu de différence stratégique vaccinale, dans les grandes lignes. Certains pays ont fait le choix de vacciner en premier lieu les plus âgés et les soignants ; la France a en revanche choisi de débuter par les plus âgés, puis de poursuivre avec les soignants, en fonction de leurs risques et de leur âge.
L’Allemagne vise une approche fondée a priori sur des vaccinodromes, en ciblant en priorité les personnes présentant le risque le plus élevé d’une évolution grave ou mortelle de la maladie ; puis celles qui s’occupent de malades de la Covid-19 (personnel d’EHPAD et établissements de santé), personnels difficilement remplaçables au sein de l’État (professionnel de santé, pompiers, professeurs et éducateurs, etc.).
Et comme il n’est pas possible de vacciner une population en totalité, il est nécessaire d’adopter une stratégie raisonnée, graduelle et progressive, entre groupes, et au sein des groupes.
Le Royaume-Uni a visiblement choisi d’utiliser la campagne vaccinale comme un argument pour démontrer que même en dehors de l’UE, l’agence britannique peut gérer cette campagne. Boris Johnson a en effet tout intérêt à détourner l’attention de ses concitoyens vers des sujets fédérateurs, comme le vaccin ou le potentiel nouveau variant britannique, et de les éloigner des conséquences négatives du Brexit. Le R-U prévoit d’ailleurs de vacciner toute sa population avant Pâques, ce qui paraît très optimiste, quand l’Allemagne prévoit de réaliser les dernières vaccinations de sa population pour l’automne 2021.
Charles Reviens : La présidente de la Commission européenne s’est en effet exprimée le 16 décembre devant le Parlement européen en indiquant que le régulateur européen donnerait avant Noël soit dans moins d’une semaine son agrément pour le vaccin développé par le binôme germano-américain constitué de Pfizer et BioNTech. Cette décision constitue de fait le départ des campagnes de vaccination dans les pays de l’Union européenne, campagnes qui devraient donc débuter avant la fin de l’année 2021.
Le processus d’agrément britannique est plus précoce de trois semaines puisque le régulateur britannique (Medicines and Healthcare products Regulatory Agency-MHRA) a donné son feu vert le 2 décembre dernier. Margaret Keenan, citoyenne britannique âgée de 90 ans a ainsi été vaccinée le 8 décembre dernier pour devenir la première personne vaccinée en Occident hors des phases de tests même si des vaccinations ont eu lieu depuis plusieurs mois en Chine et en Russie.
Cet écart de trois semaines n’est toutefois pas révélateur des politiques vaccinales dans le monde qui incluent toutes plus ou moins les même étapes et contraintes mais sont extrêmement différenciées suivant les différents pays.
Ces politiques incluent d’abord l’enjeu de l’élaboration des vaccins, dans un contexte où la pandémie généré un nombre tout à fait considérable de projets : l’organisation mondiale de la santé recense à la date du 8 décembre un total de 52 projets de vaccins en évaluation clinique dont 4 ont reçu une approbation sanitaire dans au moins un pays : le Tozinameran déjà évoqué de BioNTech/Pfizer/Fosun Pharma, les vaccins chinois BBIBP-CorV de Sinopharm et CoronaVac de Sinovac, le vaccin russe Gam-COVID-Vac « Sputnik V » de l’institut de recherche d’épidémiologie et de microbiologie Gamaleya. Le développement – ou non – d’un vaccin est considéré avec plus ou moins de force comme en enjeu de souveraineté nationale et de projection mondiale.
La phase de production suit celles de développement et d’agrément des autorités sanitaires, afin de lancer les premières campagnes de vaccination en 2020, donc moins d’un an après le début de la pandémie mondiale. Ces campagnes de vaccination posent des questions majeures d’accès aux vaccins (avec ou non des enjeux de priorité nationale) et des questions logistiques objectivement inédites : on envisage au niveau mondial la production, le transport, l’administration de 10 à 20 milliards de doses et le suivi ultérieur des personnes vaccinées (le plus souvent 2 injections par personne), ce qui fait de cette campagne un défi logistique sans aucune comparaison. La gestion de la chaîne du froid (les vaccins doivent être conservés en général à une température de 2 à 8 degrés Celsius mais à moins 70 degrés pour le vaccin Pfizer/BioNTech) n’est pas le moindre des défis de telles opérations.
Il y a en outre le choix des publics à vacciner en particulier, l’option du caractère obligatoire ou facultatif de la vaccination, le traitement des enjeux de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée, le vaccin étant considéré par Interpol comme de « l’or liquide » avec toutes les tentations et opportunités de fraudes que cela induit, les enjeux de communication publique, etc. etc.
Chaque pays a sa feuille de route vaccinale et cela tient à différents paramètres nationaux. Le premier est clairement le niveau et l’impact de la pandémie : la covid-19 a fait à date autant de morts (300 000) aux Etats-Unis (328 millions d’habitants), dans l’Union Européenne (448 millions) que dans l’ensemble de l’Asie (4,5 milliards) et donc des niveaux de pression sur les pouvoirs publics par les opinions publiques et de blocage de l’activité économique et sociale tout à fait différents.
Il y a en outre la question de la confiance ou de la défiance dans les pouvoirs publics et dans la science en général, très différente suivant les pays, ce qui facilite ou rend difficile les politiques sanitaires et de vaccination, les traditions vaccinales, l’arbitrage entre vaccin et soins, les considérations de souveraineté nationale et même des enjeux de politique étrangère qui semblent ainsi très clairs pour la Chine et la Russie.
Jean Castex a annoncé les premières vaccinations pour la dernière semaine de décembre et l’ouverture à toute la population à la fin du printemps. La France se démarque-t-elle de ses voisins ?
Collectif Du Côté de la Science : Bien que le plan soit défini, sa mise en application reste pour le moment floue.
Nous ne savons pas encore si nous allons adopter une stratégie de centre (ou “vaccinodrome”) afin d’éviter la perte de doses du vaccin (un flacon de vaccin contient plusieurs injections), ni quel sera le niveau de ces centres (hôpital, agglomération, ou à partir du récent concept de communauté de professionnels territoriaux de santé) ; ou si nous allons adopter une stratégie de niveau plus proche, sous la responsabilité d’un médecin ou d’un pharmacien, afin de couvrir plus largement la population, (au risque d’une moindre conservation des produits); ou un système hybride.
Avec la publication des données Phase III pour le vaccin Pfizer et Moderna, il est possible que la HAS puisse de nouveau statuer maintenant que ces données ont été publiées et que la FDA s’est prononcée afin d’ajuster la population cible. Il est aussi possible également que cette stratégie évolue en fonction des populations concernées et du type de vaccin disponible.
Charles Reviens : La France est dans la lignée des pays occidentaux ayant eu, à l’instar des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, des phases amont de gestion de la pandémie délicates : indicateurs de mortalité élevés, fort blocage de l’activité économique et sociale, multiplicité des controverses conduisant à un niveau de défiance plutôt élevés. Le vaccin apparait dans ces conditions un peu comme la « solution magique » permettant enfin d’avancer vers une solution globale du problème et le retour à normale, en tout cas sur le plan sanitaire.
La France suit donc avec quatre semaines de retard ce qui est mis en place en Grande-Bretagne : début de la campagne de vaccination avant la fin de l’année, approvisionnement (200 millions de doses réservées), vaccination en trois groupes successifs : personnes très âgées dans les EHPADs et personnel soignant, deuxième groupe à risque, population générale….
On peut noter deux points importants de différence. D’abord la France, pays de Louis Pasteur et donc acteur historique des vaccins, n’est pas vraiment dans le match de l’élaboration des vaccins ou l’est avec retard, loin des projets américains, chinois, russes ou même allemands avec BioNTech qui semblent en pointe actuellement en tout cas en matière de communication et d’articulation avec les pouvoirs publics. Ensuite les plans d’actions du gouvernement doivent faire avec un niveau de défiance particulièrement élevés de la population contre les vaccins : 59 % des Français déclaraient fin novembre qu’ils n’iraient pas ou probablement pas se faire vacciner contre le Covid-19 quand ils le pourront selon un sondage Ifop. L’enjeu de l’adhésion est donc fort et délicat dans le pays.
Les Etats-Unis parient quant à eux, sur une vaccination massive et rapide. Comment s’articule leur plan de vaccination, baptisé « Warp Speed » ?
Collectif Du Côté de la Science : Il est envisagé aux USA de vacciner 21 millions de soignants et au moins autant de personnes âgées prioritaires. Cependant il est impossible en l’état de réussir à faire cela, avec les 40 millions de doses disponibles au maximum d’ici la fin de l’année (soit 20 millions de personnes vaccinées avec 2 doses). Par ailleurs, comme 600 centres de vaccination sont annoncés, il est clair que les zones urbaines seront leur priorité initiale.
Comme notre système de soins est aux antipodes du système américain, notamment sur l’accès aux soins des plus démunis (même si l’Obama Care l’a modifié) il paraît à ce jour difficile d’adapter la stratégie américaine en Europe.
Charles Reviens : Je renvoie les lecteurs à la présentation de ce programme par le département de la santé américain, le département de la défense ainsi qu’à la fiche wikipedia qui présentent bien les différentes étapes évoquées plus haut d’un programme de vaccination.
On voit dans Warp Speed les faiblesses mais également les forces du modèle américain. D’abord le niveau très élevé de controverse et de division politique dans le pays puisque Donald Trump avait fait de la vaccination covid-19 un enjeu tout à fait central de sa campagne de réélection, accusant directement les laboratoires d’avoir retards les annonces afin de lui nuire.
Ensuite la capacité financière et industrielle des Etats-Unis puisque 10 milliards de dollars ont été alloués pour la recherche de vaccins et les vaccins en phase très avancée à date de Pfizer et Morderna. Enfin l’enjeu central de la préférence nationale : Donald Trump met en avant le fait que le vaccin sera fourni en priorité pour la population américaine.
La Chine, qui clame avoir déjà vacciné plus d’un million de personnes, et l’Inde, deuxième pays au monde le plus touché par la pandémie, sont confrontés au défi logistique de vacciner des centaines de millions de personnes. Comment comptent-ils y parvenir ?
Collectif Du Côté de la Science : La chaîne du froid concernant le vaccin Pfizer est un défi logistique majeur, et pose la question de son organisation, comme pour certains vaccins utilisés en Afrique, qui sont aussi transportés à -80C. Le défi principal est de prévoir la meilleure des stratégies en tenant compte des disparités de densité de population, ce qui nécessite à la fois de s’appuyer sur des vaccinodromes, et sur des réseaux de médecins de ville (pour l’Europe) afin de toucher les zones moins denses…
En Chine, le vaccin chinois ne semble pas nécessiter une chaîne particulière du froid à -80°C, ce qui pourrait faciliter sa distribution, même si l’étendue du pays et sa très forte population rendront néanmoins la tâche ardue.
Au Canada, pour prendre un autre exemple, les populations des provinces les plus éloignées devront vraisemblablement attendre la disponibilité du vaccin Moderna, moins exigeant en terme de température de conservation que le vaccin de Pfizer, afin d’être vaccinées.
Charles Reviens : La situation est très différente entres les deux pays d’Asie les plus peuplés du monde.
Pour la Chine et à la différence de la plupart des pays occidentaux, la gestion interne de la crise sanitaire est considérée comme un problème largement géré avec des chiffres de contamination et de décès tellement faibles qu’ils suscitent quelques doutes. Les Chinois n’ont de fait pas vraiment besoin du vaccin pour régler sur le plan opérationnel ou même de communication une question déjà purgée.
La politique vaccinale est de ce fait assez largement un enjeu de puissance et de projection mondiale, une occurrence de plus du match en cours avec les Etats-Unis. La revue Science considère d’ailleurs qu’il y a quasiment un parti (« gambit ») international chinois en matière de vaccins covid-19 : accords avec de nombreux pays pour les tests (Egypte, Jordanie, Argentine…) puis la distribution, puisque 100 pays ont commandé le vaccin Sinopharm suivant les médias d’Etat chinois notamment en Afrique.
L’approche indienne est plus domestique et de souveraineté dans un pays qui produit 60 % des vaccins dans le monde et dispose du plus grand fabricant mondial (Serum). Le pays va adapter sa politique récurrente de vaccination (55 millions de personnes vaccinées chaque année avec 390 millions de doses distribuées) avec la volonté de développer un vaccin national à côté de l’accord avec le britannique AstraZeneca.
Globalement, quelles sont les différentes approches de la vaccination qui se dégagent ? Les pays plus autoritaires comme la Chine ou la Russie ont-ils par exemple plus tendance à faire appel à des vaccins « maison » ?
Collectif Du Côté de la Science : La Chine n’a pas fait secret de l’utilisation de ses vaccins “maison”, qu’elle utilisera aussi comme arme politico-économique, ce que l’on constate déjà au Maroc et dans d’autres pays d’Afrique où les vaccins chinois seront utilisés.
Christopher Payan : Concernant la Grande-Bretagne, n’étant plus dans l’Europe ils ne dépendent pas de la réglementation européenne pour les autorisations de mise sur le marché. Par contre pour les pays de l’UE, il est logique qu’ils puissent démarrer en même temps dès les autorisations publiées. Ensuite le développement dépendra du nombre de doses produites. Un autre point important pour les 2 premiers vaccins à base d’ARN est la logistique disponible sur le territoire puisqu’ils necessitent une conservation au congélateur -80°C, il faudra après les masques, les tests, déployer des congélateurs sur le territoire pour rendre proche les vaccins de la population à vacciner, ce dispositif n’existe pas à ce jour ! Pour les vaccins chinois en Chine et en Indes, à base de vaccins inactivés, en général ces vaccins se conservent au réfrigérateur comme les autres vaccins ce qui facilitent leur diffusion pour une vaccination de masse. Reste à connaitre leur efficacité, cela va être difficile en Chine où il ne rapporte que très peu de cas de Covid-19, comment pourront-ils le démontrer ?
Charles Reviens : Les pays occidentaux sont dans l’urgence d’une crise qui reste à un niveau aigu tant sur le plan sanitaire que dans ses conséquences sur la vie économique et sociale : la politique de vaccination constitue l’espoir de sortir une bonne fois pour toute de la situation exceptionnelle et dramatique crées par la covid-19. Il y a maintenant une forte convergence entre les pays occidentaux sur l’urgence de la vaccination puisque les écarts de léthalité très forts au printemps se sont considérablement réduits à l’instar de l’aggravation de la situation en Allemagne. On constate toutefois dans ces pays des écarts en matière d’importance de la souveraineté industrielle et sanitaire.
La situation est très différent pour les pays d’Asie où la crise a été à date infiniment mieux maîtrisée et où la pression de l’opinion publique et des milieux économiques est infiniment moindre qu’en Occident : la Corée du Sud met ainsi presque autant l’accent sur le traitement des personnes atteintes par la covid que sur les vaccins, tandis que la question des effets secondaire des vaccins est beaucoup plus sensible au Japon.
On voit enfin que les pays qui challengent globalement le leadership américain, avant tout la Chine et la Russie, et qui mettent leur politique de vaccin au service d’objectifs de politique étrangère. Les vaccins Sputnik5, Sinopharm et CoronaVac sont des outils de soft power mondial qu’ils veulent opposer à l’approche « Americans first » mise en avant par l’administration Trump.
Quelle serait votre stratégie?
Collectif du Côté de la Science : A la lumière des études, vacciner en premier les plus âgés est un non sens : il faudrait au contraire vacciner les soignants en premier, pour protéger le système de soins et réinstaurer la confiance. Par ailleurs, cela pourrait permettre de mettre en place un meilleur recueil des effets indésirables auprès des référents locaux pour la pharmacovigilance (Phase IV). Il faudrait dans l’idéal laisser libre la vaccination pour ces personnels sans les répartir en phases 1-2-3, dès la mise à disposition de l’AMM du premier vaccin disponible. Le lieu de vaccination devrait être centralisé: centres hospitaliers pour les soignants et non soignants, EHPAD pour les soignants et résidents, centres de référence sur un site ayant le matériel adéquat en particulier pour tous les types de vaccins pour les autres strates de la population.
Le sujet vous intéresse ?
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