Renouveler l’air dans les lieux clos : ce thème a resurgi dans le débat public avec la pandémie de Covid-19. En effet, le virus impliqué se transmet notamment par voie aérienne, d’où la recommandation actuelle de bien ventiler les lieux clos pour contrer sa propagation. Cependant, bien au-delà de la crise épidémique, une bonne ventilation est importante pour la santé et le bien-être en général. Comment s’assurer qu’elle est satisfaisante ? En mesurant le taux de dioxyde de carbone, le CO2, dans l’air. Ce gaz carbonique est produit par notre respiration et son taux permet donc d’estimer la qualité de l’aération.
Éviter de dépasser 1 000 ppm de CO2
Dans l’air extérieur, la concentration moyenne de CO2 est d’environ 0,04 %, c’est-à-dire que 1 molécule sur 2 500 est une molécule de CO2. Pour éviter d’avoir à manipuler des chiffres décimaux, on utilise plutôt la « partie par million », ou ppm en abrégé : on a donc ici une concentration d’environ 400 ppm, avec, en ville, des variations de quelques dizaines de ppm dues à la pollution ou à la situation météorologique.
Lorsque nous sommes à l’extérieur, l’air que nous expirons se dilue rapidement dans l’immensité de l’air ambiant ; notre respiration n’a donc aucune conséquence sur la concentration de CO2. Tel n’est pas le cas dans un espace clos. Dans l’air expiré, la concentration de CO2 atteint environ 40 000 ppm (soit 4 %). On estime ainsi que lors d’une respiration normale, un adulte rejette 18 litres de CO2 par heure à pression atmosphérique. Dans un espace clos, la concentration de CO2 augmente donc progressivement.
Pour fixer les idées, considérons une pièce où chaque personne dispose de 10 mètres cubes d’air. Cela correspond par exemple à 5 personnes dans un salon de 20 mètres carrés et 2,5 mètres de hauteur. Si la pièce est étanche et non ventilée, la concentration de CO2 augmente linéairement avec le temps. Au bout de 1 heure, 18 litres de CO2 s’ajouteront aux 10 mètres cubes (soit 10 000 litres) d’air par personne : la concentration sera donc augmentée de 1 800 ppm et atteindra 2 200 ppm si l’air de la pièce avait initialement la même composition que l’air extérieur.
Or des études ont montré qu’au-delà d’une teneur en CO2 de 2 000 ppm, nos capacités cognitives commencent à s’altérer, et cela d’autant plus qu’elles sont de niveau élevé (prise de décision, réflexion…). C’est pourquoi les valeurs maximales conseillées pour la concentration de CO2 en intérieur se situent d’habitude entre 1 000 et 1 500 ppm ; elles s’appliquent notamment aux bâtiments résidentiels et aux bureaux.
Comment ne pas dépasser ces seuils ? Par exemple en faisant appel à une ventilation mécanique. La norme européenne de ventilation dans les locaux non résidentiels (EN 13779) préconise un débit de 29 mètres cubes par heure et par personne pour que la qualité de l’air soit « modérée ». D’où sort ce chiffre ?
Après une phase transitoire où elle varie, la teneur en CO2 se stabilise lorsque le gaz carbonique produit par la respiration est évacué à chaque instant par la ventilation. Or cette quantité évacuée, en supposant que l’air est suffisamment brassé pour être homogène, n’est autre que le produit du débit de la ventilation par la concentration en CO2. On trouve donc que, en régime stationnaire, la concentration de CO2 est égale à la somme de la concentration atmosphérique (400 ppm) et du rapport du débit produit sur le débit évacué. Ainsi, 18 litres de CO2 par heure sur 29 mètres cubes d’air par heure donnent un supplément de 620 ppm de CO2, d’où une concentration totale de 1 020 ppm.
Ce chiffre est acceptable, mais il frôle déjà les maxima recommandés. Remarquons aussi que ce résultat, et donc le dimensionnement d’une ventilation, ne dépend pas du volume de la pièce, mais seulement du nombre de ses occupants. Le respect de la norme nécessite donc d’estimer l’occupation maximale des locaux.
Aérer quelques minutes toutes les demi-heures
En l’absence de ventilation mécanique, il reste l’aération naturelle. Pour en revenir à l’exemple d’une personne dans 10 mètres cubes d’air, on atteint 1 300 ppm de CO2 au bout d’une demi-heure ; il faut alors ouvrir grand les fenêtres pour renouveler complètement l’air de la pièce. Plusieurs mécanismes peuvent y contribuer : le vent, bien entendu, mais aussi la différence de température entre l’intérieur et l’extérieur. Celle-ci engendre des différences de densité de l’air et des mouvements de convection ascendants et descendants à travers les ouvertures.
Il est cependant beaucoup plus difficile d’estimer les débits correspondants. En égalant la force ascensionnelle qui s’exerce sur l’air chaud et le frottement aérodynamique avec l’air ambiant, on calcule des vitesses de l’ordre de 0,5 mètre par seconde pour des écarts de température de 10 °C. En supposant que la moitié de la surface des fenêtres, disons 4 mètres carrés pour notre salon de 20 mètres carrés, permet de faire rentrer de l’air de l’extérieur tandis que l’autre moitié sert à évacuer l’air vicié, on renouvellerait totalement les 50 mètres cubes d’air du salon en 50 secondes grâce à un débit phénoménal de 3 600 mètres cubes par heure.
Cette estimation de débit est un peu trop élevée, et ce temps trop court, mais ces chiffres suggèrent ce que chacun a pu vérifier, à savoir que la convection naturelle parvient à renouveler l’air d’une pièce en quelques minutes. Cette durée est d’ailleurs suffisamment brève pour éviter, l’hiver, de refroidir les meubles et les murs ; le confort thermique n’est que momentanément perturbé ! Mais tout cela suppose que la convection soit possible : sans vent et sans grand écart de température, il faut se résigner, à la mi-saison, à laisser les fenêtres ouvertes en permanence pour aérer.
Mesurer la teneur en CO2
Comment s’assurer que le renouvellement de l’air est suffisant ? Dans l’industrie du bâtiment, un contrôle standard consiste à mesurer le taux de CO2 de l’air intérieur. S’il existe des appareils à usage professionnel, on trouve désormais dans le commerce des détecteurs peu coûteux que l’on peut piloter avec une carte Arduino. Ces appareils, qualifiés de NDIR (pour nondispersive infrared spectroscopy, « spectroscopie infrarouge non dispersive »), mesurent l’absorption de la lumière infrarouge par les molécules de l’air.
En effet, le gaz carbonique absorbe les infrarouges autour d’une longueur d’onde de 4,3 micromètres, qui excite des modes de vibration de ses liaisons carbone-oxygène. Cette valeur est éloignée des bandes spectrales d’absorption des autres molécules de l’air, telles que le dioxygène (O2), le monoxyde de carbone (CO) et l’eau : la mesure de l’absorption est donc très sélective. À 400 ppm de CO2, l’intensité d’un rayonnement vers 4 micromètres de longueur d’onde diminue de 2 % au bout de 5 centimètres. Cela semble peu, mais il faut s’en contenter si l’on veut un dispositif de mesure de petite taille.
C’est pourquoi les bons détecteurs NDIR effectuent des mesures différentielles. Ils comportent une source émettant dans l’infrarouge et deux capteurs, l’un sensible aux longueurs d’onde non absorbées par le CO2 et qui sert de référence, l’autre sensible autour de la longueur d’onde de 4,3 micromètres, absorbée par le CO2. L’intensité reçue par le second capteur varie donc avec la concentration de CO2, contrairement à celle reçue par le premier, et la différence permet de déterminer la concentration de CO2. Ainsi, avec un tel appareil que l’on trouve pour quelques dizaines d’euros, chacun peut vérifier si l’air qu’il respire est suffisamment renouvelé.