C’est avec surprise et inquiétude que nous avons pris connaissance des propositions du syndicat MG France concernant la prise en charge de la phase aiguë du COVID-19 au domicile des patients, y compris dans les formes potentiellement graves, avec facteurs de risque, au détour de la conférence de presse du Ministre de la santé, Olivier Véran, le 5 novembre.
Nous ne comprenons ni le but ni le contenu de ce document de travail, fondés sur des “recommandations et avis d’hospitaliers”, car il semble méconnaître l’évolution de cette maladie parfois marquée par un risque évolutif grave imprévisible. Il nous paraît aussi pour le moins ambitieux d’affirmer, comme l’a fait le Dr Michel Baux lors de cette conférence de presse, que “la médecine de ville peut être très efficace même dans les formes graves” et que l’on “peut désormais prévoir ce qu’il va se passer”.
La situation sanitaire actuelle est-elle aussi grave que ce syndicat en vienne à envisager de développer des stratégies de prise en charge relevant d’une pratique de médecine de catastrophe ? À tel point que l’hôpital ne pourrait plus accepter de patients nécessitant une oxygénothérapie ? Et que l’on préférerait soigner les patients de manière dégradée à la maison, en croisant les doigts pour qu’ils s’en sortent ?
Et si la situation est si grave, pourquoi l’exécutif ne décide-t-il pas un véritable confinement ? Pourquoi ne fermons-nous pas aussi les écoles ?
Les indications d’oxygénothérapie à domicile étaient jusqu’à aujourd’hui assez simples et définies par la Haute Autorité de Santé depuis 2012 ; elles répondaient à différentes situations d’hypoxémie (baisse du taux d’oxygène dans le sang) bien codifiées. Les deux types d’oxygénothérapie au domicile étaient :
- l’oxygénothérapie longue durée : qui permet de réduire la mortalité des insuffisants respiratoires chroniques, si elle est administrée 15 heures par jour ;
- l’oxygénothérapie court terme : qui peut être prescrite sans délai lors d’un retour à domicile d’un patient (pour ne pas allonger inutilement la durée d’hospitalisation), par tout médecin ; un mois renouvelable deux fois.
Les indications d’hospitalisation des pneumopathies ont toujours été retenues en fonction de critères de gravité de l’examen du patient (en plus des comorbidités et critères sociaux) ou de la radiographie/scanner. L’infection respiratoire à coronavirus relève de ces critères mais avec des caractéristiques parfois exacerbées et spécifiques, comme, entre autres, le manque d’oxygène rapide et sévère (sans qu’il ne s’accompagne systématiquement de sensations d’étouffement, ce qu’on appelle “l’hypoxémie heureuse”), ou le caractère bilatéral de l’atteinte. Le risque de décès y est très important (entre 8 et 35 % selon les études, et la gravité), même pour les patients ayant des saturations en oxygène considérées comme “normales”, entre 93 et 95 %.
Le 29 octobre, le syndicat MG France a annoncé avoir demandé la veille à la Direction Générale de l’Offre de Soins du ministère de la santé “trois outils pour […] prendre en charge à domicile les patients Covid quand cela semble possible, y compris en sortie d’hospitalisation pour raccourcir les séjours, notamment la prescription d’oxygénothérapie à haut débit à domicile autorisée aux médecins généralistes”. (https://www.mgfrance.org/publication/infoexpress/2686-nos-demandes-pour-soigner-les-malades-covid)
C’est cette demande qui semble avoir mené au document de travail cité et à nos interrogations. Sur la forme :
- Est-ce le rôle d’un syndicat de proposer un protocole de prise en charge sans appui ou avis des conseils scientifiques du Collège de la Médecine Générale (CMG), de celui du collège national des généralistes enseignants (CNGE) ni même celui des sociétés savantes de pneumologie, réanimation, ou maladies infectieuses ?
- Ces recommandations sont-elles en phase avec la littérature internationale, (par exemple, l’article de Sardesai et al. n’intègre aucunement les cas graves ou avec facteurs de risque à son algorithme décisionnel en la matière) ? (J Family Med Prim Care)
Nous formulons d’autres réserves sur le fond des propositions de MG France :
- Il est impossible de délivrer au domicile de l’oxygène à haut débit en continu (pour les insuffisants respiratoires il est rare de dépasser 3l/minute, alors que les patients COVID requièrent parfois en hospitalisation beaucoup plus de 15l/mn), ce qui nous semble constituer une incompréhension grave ou pire, un manque de connaissance technique et médicale des rédacteurs du texte ;
- Il n’est pas raisonnable, quand on sait qu’un patient Covid nécessite une surveillance continue et peut s’aggraver de manière imprévisible en quelques minutes, de proposer de l’oxygène à domicile sous la seule responsabilité d’acteurs de santé présents de façon épisodique ;
- En effet, MG France ne mentionne à ce jour qu’une consultation le premier et le septième jour, ce qui suppose donc de faire reposer la surveillance le reste du temps, sur… le patient, l’aidant, l’infirmier.e libéral.e ou un suivi interactif numérique (sic) ?
Ce qui devrait s’appliquer, et que nous préconisons, c’est l’application des données de la science. Et en l’état, que dit-elle ? Que lorsque l’on est infecté par le coronavirus et que l’on commence à présenter des signes respiratoires (toux, essoufflement), le risque est de voir son état clinique se dégrader TRÈS rapidement et d’avoir besoin d’oxygène parfois à de très hauts débits, ce qui est impossible à faire correctement ailleurs qu’en structure hospitalière, et surtout pas à domicile.
S’il est envisageable de prendre en charge des patients COVID en sortie d’hospitalisation avec de l’oxygène lorsqu’ils ont passé la phase instable, il est pour le moins dangereux de les traiter à la maison “comme à l’hôpital” au cours des dix premiers jours de l’atteinte respiratoire.
Cet accord, qui semble émerger entre un syndicat et les instances de santé, survient dans une situation sanitaire très dégradée. Espérons qu’il n’a pas pour but d’habiller, sans le dire, des mesures de médecine de catastrophe.
Car, si telle est la situation, alors il faut fermer les écoles, reconfiner totalement et prendre de vraies mesures. Et rien d’autre. Et si ces mesures ne sont pas prises et que la situation devait se dégrader fortement, alors oui, bien sûr, il faudra faire de la médecine de catastrophe, et au mieux, mais en la nommant.